« Appelez-moi « X ». Mr X. Votre nouveau commandant de bord. Il paraissait évident qu'après la prise de pouvoir de notre chère Organisation, Miss Shâd ne pouvait plus assurer pleinement ses fonctions de leader. Vous ne me connaissez pas, mais n'ayez crainte, j'ai assez d'expérience dans ce milieu pour savoir comment gérer mes troupes. Soyez rassurés, Zéphyr reste haut placé au sein de notre hiérarchie. Elle s'occupera de tout ce qui concerne la communication. »

Il y avait toujours ce petit grain de sable qui foutait en l'air la machine en marche. Ces annonces qui se voulaient innocentes, mais qui en secret faisaient grincer des dents. L'annonce de la prise de pouvoir de Matvei en était un bon exemple. Devant la foule on sourit et on applaudit. Dans l'ombre, on peste d'être reléguée à la seconde place. Au sein de l'Organisation, c'était radicalement différent. En aucun cas, elle n'avait visé la tête de cette rébellion. Elle préférait laisser Zéphyr se battre pour ces nobles causes. La crise économique, les affreux gobelins, le Tournoi des gamins, tout ça ne l'intéressait guère. Elle, chef du département de la Justice, avait des finances plutôt confortables et se divertissaient volontiers devant ces petites têtes blondes. La seule petite chose qui lui manquait dans sa vie de princesse tyrannique c'était ce trône qu'elle convoitait tant. Toucher les étoiles ne lui suffisait plus, elle voulait conquérir la lune. Et la cadette des sœurs Shâd pouvait l'y aider. Unir leurs moyens pour chacune atteindre leur but, cela semblait idéaliste sur le papier. Mais sur le papier seulement. Au fur et à mesure que leur lutte prenait de l'ampleur, leurs réelles intentions se perdaient en route. Jusque là, Ève avait toujours bien su tiré son épingle du jeu en échange de deux trois services légèrement hors la loi (le comble pour le département qu'elle dirigeait). Elle se sentait puissante derrière son masque. Elle se sentait vibrer quand la magie réchauffait ses doigts. Elle était vivante quand elle défiait la mort.

Mais visiblement Zéphyr s'était perdue en route, et après tout ce chemin accompli, elle avait concédé sa place de choix à ce fameux « Mr X. » Pourquoi lui plutôt qu'une autre ? Pourquoi lui plutôt qu'elle, surtout ? C'était insensé. Comme si toute sa vie, elle était coincée dans cette place de second rôle. Extrême frustration. Elle n'en voulait point à sa désormais ex-leader, mais une discussion s'imposait. Si jusque là elle avait fait confiance à la criminelle, il n'en était plus rien. Une peur discrète s'insinuait dans ses veines. La peur de tout foute le camp. Que ce pourquoi elle s'était battue ces dernières années s'effondre comme un vulgaire pion de jeu d'échec sorcier. Mais elle se devait d'être la reine, ne pas se contenter de la place du fou.

Moi de Mai fleuri, Miss Deschanel profita de sa pause déjeuner pour s'éclipser hors des bâtiments sorciers afin de rejoindre les ruines qui leur servaient de repère. Une fois hors de la ville, elle agita sa baguette de prunellier qui la métamorphosa. Elle arbora ainsi une longue robe noire qui recouvrait la moindre parcelle de peau, ainsi qu'un masque moustachu qui ne laissait même pas deviner ses yeux noisette. Elle était désormais prête pour transplaner à quelques pas des lieux lugubres. Et si quelqu'un la croisait, il ne pourrait se douter de la sublime créature qui se cachait derrière ce costume sombre. Un vaste parc d'attraction hanté. Des centaines de gens passaient devant l'immense portail sans jamais que l'idée de pénétrer l'endroit n'illumine leurs pensés. C'était un des nombreux sortilèges qui les maintenaient en sécurité. C'est ainsi qu'une fois entrée dans l'enceinte secrète, elle ôta son subterfuge qui ne lui était plus d'aucune utilité. Ses talons tapèrent alors sur les pavés de l'immense hall indiquant sa présence à quiconque s'était réfugié ici.

Devant Zéphyr, la jeune femme éteignit alors la moindre émotion qui pourrait se lire sur son visage. Elle aurait voulu se montrer sympathique, mais elle était froide. « Bonjour ma chère » l’accosta-t-elle avec cet accent français dont elle était si fière. C’est marrant comment les accents des deux brunes sonnaient à eux-seuls comme une bataille. La douceur française contre la brutalité russe. Doux mélange explosif. « Ton bras va mieux ? » demanda-t-elle suite à leur dernière rencontre fortuite dans les ruines de Ste Mangouste. Elle sourit légèrement pour appuyer ses mots quelques peu provocants. Elle savait que la chasseuse de prime bouillonnait contre cet attentat provoqué en son nom, mais sans son accord. Et sans la présence d’Ève et d’Alabaster pour la sortir des décombres, qui sait si Mr X ne serait pas l’unique leader de l’Organisation aujourd’hui ? Mais ça, elle se retenait bien de l’exprimer. Elle aurait bien d’autres occasions de lui rappeler ces quelques services rendus. « Je n’ai pas beaucoup de temps devant moi, tu sais que Matvei est incapable de se débrouiller sans moi (clin d’œil). Alors, parlons de ce qui m’amène ici, j’ai cru comprendre que tu avais perdu le contrôle de l’Organisation? Il se passe quoi maintenant Zéphyr ? On se range derrière ce monsieur en l’écoutant nous dicter ce qu’on doit faire ? Ce n’est pas la Zéphyr que j’ai connu… » C’est vrai, celle qu’elle avait connu dans ce tribunal était intelligente et rusée. Et jamais ô grand jamais elle ne se laisserait marcher sur les pieds.

C'était un état de guerre. Contre X, contre tous ceux qui s'éloignait de ce qu'elle s'était employée à construire, des gens qu'elle appréciait, comme Mischa, d'autres qu'elle ne voyait comme rien d'autre que de la vulgaire chair à pâté bonne à être envoyé au casse-pipe si besoin est. D'autres, au contraire, lui étaient fidèles, certains dont elle ne doutait plus, Seoc, d'autres qu'elle n'aurait jamais pensé voir de son côté. Et puis il y avait une personne, pour qui elle éprouvait une sorte d'amitié, en qui du moins elle avait placé une partie de sa confiance : Ève Deschanel, son bras droit au sein de l'Organisation. Pourtant, la chasseuse de primes n'avait fait aucun pas pour aller vers son amie, attendant avec patience qu'elle vienne à elle. Car Zéphyr le savait, ce serait la française qui viendrait lui parler, elle n'était pas très compliquée à cernée, mine de rien. Et la demande n'avait pas tardé, le rendez-vous calé.

Mettant de côté la masse de papiers dont elle n'avait pas eu le temps de s'occuper durant sa convalescence, la chasseuse de primes quitta son bureau dans un craquement sonore et transplana directement dans leur quartier général. D'un coup de baguette magique, un feu chaud commença à crépiter dans la cheminée, brisant ainsi le froid ambiant de la pièce ; d'une autre formule, deux fauteuils de cuir apparurent devant l'âtre et la leader s'installa dans l'un deux. Un coude reposant sur l'accoudoir, le menton posé sur sa main, elle se perdit dans la contemplation des flammes jusqu'à ce que le bruit de talons qui claquent contre le sol ne l'avertisse de l'arrivée de son bras droit.

Ève se montra beaucoup plus froide que ce que Zéphyr attendait de sa part, de même que ses paroles, provocantes au possible, injurieuses presque, ne tombèrent pas dans l'oreille d'un sourd. Pourtant, la chasseuse de prime garda le silence jusqu'au bout, avant de montrer le fauteuil libre à sa vis-à-vis et de prendre la parole à son tour.

« Je ne t'ai pas convoquée ici pour fairrre des politesses, Ève. Arrrrêtes de me prrrendre de haut ainsi, où je te jurrre que c'est morrrte que tu rrrepartirrrras d'ici. Et tu sais à quel point je suis sérrrrieuse à ce sujet. Alorrrs maintenant, rrrevient sur Terrrre et arrrrête de jouer aux petites filles caprrricieuses. De nous deux, c'est toi la gamine, mais tu as aussi tout à perrrdrrre, ta vie comme ton honneurrr. Ne joue pas avec mes nerrrfs, Eve, tes actions ne sont pas encore connue de tous parrrce que je veux bien. Et si je le décide, ta petite couverrrture tombe à l'eau et tout le monde saurrra que tu es une prrrincesse qui ne brrrigue le pouvoirrr simplement que pourrr apaiser ton égo surrdimensionné. Parrrce que concrrrètement, outrrre ta médiocrrrité, qu'as-tu à apporrrter au monde magique, hein ? Tu sais que tu as besoin de moi, parce que seule, tu peux pas brrriguer ce pouvoirrr que tu convoites tellement. Éparrrgnes moi donc tes stupides prrrovocations ».

Tirade prononcée avec calme et froideur, ses yeux braqués dans ceux de la française qui lui faisait face, le visage fermé à toute émotion, à n'importe quel signe qui pouvait trahir le fond de sa pensée, qui pouvait révéler le véritable état de rage dans lequel la chasseuse de primes baignait depuis quelques temps. Et la menace latente cachée derrière ses mots se suffisaient à eux-même pour affirmer la position de force de Zéphyr dans ce qui risquait fort de virer en conflit ouvert. Briser le Pacte et ainsi révéler à tous sans aucun scrupule qui faisait parti de l'Organisation, briser chaque personne qui tenait à rester confortablement cachée derrière leur marque, quel qu'en soit les raisons ; Zéphyr n'aurait aucune hésitation si elle devait le faire. Et concernant la pimbêche qui lui faisait face, la kazakh avait suffisamment de preuves pour prouver la trahison de la français envers le Ministère pour la faire couler définitivement. Et encore une fois, Zéphyr, quitte à piétiner sa fierté et son honneur n'aurait aucun scrupule à les utiliser.

« Mais puisque de tu le demandes, mon brrras n'est pas perrrdu, Johanna a bon esporrir de pouvoirrr commencer les trrraitements magiques d'ici peu sans rien rrrisquer. Concernant mon... ma perte de contrôle, comme tu le dis si bien... » Zéphyr marqua une pause pour choisir ses mots avec soin. « C'est à vrrrai dirrre, prrresque prrréférable que cela se passe ainsi. C'est ainsi qu'on rrremarrrque que la majorrrité des gens sont en rrréalité très peu digne de confiance. Je me suis faite avoir une fois, pas deux. Cela dit, c'est maintenant la guerrrre, et non plus seulement contre le Ministèrrre, mais aussi contrrre ceux qui sont fidèles à cet incapable qui s'est prrroclamé leaderrr. C'est l'occasion de questionner tes convictions, Ève et de savoirrr qui tu vas suivrrre. »

Menace à nouveau à peine voilée, la français devait savoir ce qui arrivait à ceux qui trahissait la confiance de la chasseuse de primes, bien qu'en fait elle aurait pu très bien ne rien en savoir, puisque les morts ne sont pas réputés pour être particulièrement bavards. Et c'était là où résidait tout le paradoxe de Zéphyr, ce respect pour tout ce qui touchait aussi bien à la vie qu'à la mort, mais l'absence de doute, de scrupule ou de la moindre hésitation quand il s'agissait de prendre la vie.

« Mais entrrre nous, jusqu'ici, ça a bien fonctionné. Alors pourrrquoi mettre en pérrril tout ça pour une histoirrre d'orrrgueil ou que sais-je ? Pas de ça entrrre nous. Merci. Qu'est-ce que tu es venue cherrrcher aujourd’hui ? »

Le feu crépitait devant eux. Tandis que Zéphyr laissait ses yeux noirs se perdent dans les flammes, Ève salua la russe en tentant d'accrocher son regard. Elle n'aimait pas ça, parler à un mur surtout quand elle savait pertinemment qu'il finirait par lui éclater à la figure. Ce n'était qu'une question de temps quand on connaissait le caractère des deux jeunes femmes. Les provocations n'allaient pas rester sans réponse. Il ne restait plus qu'à prier que l'entrevue ne se finisse pas dans un bain de sang. Elles avaient chacune de leur côté fait leurs preuves concernant la violence dont elles étaient capables. Cette fois-ci, quand Zéphyr pris la parole c'était pour prononcer des menaces de mort envers la française. Comme une lettre à la poste. Parce que oui, Ève savait à qui elle avait eu affaire dans ce tribunal. Les preuves qui inculpaient la chasseuse étaient maigres, mais les accusations plutôt sérieuses. Dans ce fauteuil en cuir dans lequel elle avait pris place, elle tenta de soutenir le regard de « sa chef ». Mais elle fuyait assez vite, une sorte de réponse implicite qui signifiait « Bien sûr que je sais de quoi tu es capable ». Elle n'avait pas vraiment peur de sa comparse, mais cela serait bien dommage d'abimer de si beaux visages que les leurs. Et ce n'était ni à Azkaban, ni six pieds sous terre qu'Ève avait prévu de passer sa vie de princesse.

Aujourd’hui leur amitié criminelle en avait pris un sacré coup. Zéphyr n’hésita pas à lâcher ses quatre vérités à la représentante de la Justice magique. Elle avait bien aiguisée ses couteaux la belle, et savait de quoi elle parlait. Cependant, il en fallait plus pour l’abattre qu’une liste non exhaustive de ses défauts. Elle était peut-être médiocre, mais sans elle jamais l’Organisation et ses nobles intentions n’auraient vu le jour. En effet avec une chef à Azkaban, ça aurait été bien plus embêtant. Zéphyr semblait oublier un peu trop vite qu’elle lui en devait une. Mais leur relation n’était-elle basée que sur ça ? Une certaine entente cordiale pour arriver à leurs objectifs personnels ? Qu’en était-il de cette fougue, de cette force, de cette domination féminine ? Les temps sombrent semblaient avoir changé bien des choses dans le monde magique. Et la voilà qui parlait de confiance. Vraiment ? Ève, bien qu’elle n’avait jamais abandonné sa méfiance naturelle, avait, la première fois de sa vie, concédé à accorder un peu de sa confiance et par la même ses rêves en autrui. Bien sûr c’était une confiance intéressée, mais tout de même c’était déjà beaucoup pour la peste qu’elle était. Et voilà qu’elle était reléguée à … à quoi au juste ? Le bras droit d’une chef déchue ? Elles couraient droit dans le fossé. Toutes les deux. Ce n’était pas une histoire de savoir à qui faire confiance dans ce merdier, le tout était de sauver sa peau.

« Tu crois quoi ? Je sais que j'ai tout à perdre, je ne suis pas une imbécile. C'est d'ailleurs pour ça que je suis ici. Je ne suis pas contre toi Zéphyr. Je n'ai pas confiance en ce type. Et toi d'ailleurs, tu lui confierais ta vie ? Je ne crois pas au vu de ta rage qu'on peut lire dans ton regard quand tu parles de l'accident de St Mangouste. Alors que fait-il à la tête de ce que tu as pris soin de construire ? Je sais que la tournure qu'ont pris les événements te déplait. Mais avouer tes péchés au monde entier ne leur fera pas oublier que c'est toi qui les as plongés dans la terreur. » Elle marqua une pause. En fait, elle était bien plus perdue qu'elle ne pouvait l'avouer. À l'instant précis, il était hors de question qu'elle suive un mec qui se prenait pour le roi du monde. Mais elle doutait aussi de la loyauté qui régnait entre elles deux. Elles étaient prêtes à tout pour arriver à leur but. C'était d'ailleurs ça qui l'avait séduite la première fois, l'ambition.

« Tu as perdu l’Organisation que tu veuilles l’entendre ou non, tu n’en as plus le contrôle. Et ce mec s’impose comme si tout lui était dû. Mais en attendant, c’est lui qui a le pouvoir. Il a tout: les écoles, le tournoi, les joyaux. Si je te suis Zéphyr, et crois-moi l’idée est loin de me déplaire, que va-t-il se passer au juste ? Une guerre au sein même de l’Organisation ? Pourquoi ne pas s’allier avec les gamins de la résistance pendant qu’on y est hein ? Tout fou le camp et je t’assure que ça ne me plait pas non plus. Mais je ne peux pas prendre le risque d’ôter mon masque. Tu crois que Matvei garderait comme chef de la Justice une criminelle qui a elle-même bravé les lois plus d’une fois ?! C’est toute ma vie. Tu veux ta revanche contre cet hôpital qui t’es tombé sur la gueule, tu veux la tête de Mr X ? Soit. Moi, c’est le trône de Matvei que je veux. » Et la question demeurait : qui de Mr X ou de Zéphyr pourrait l’y aider ? Elle ne lui avait jamais caché ses buts en entrant dans l’Organisation. Et elles avaient chacune trouvé leur compte à s’allier ensemble. Mais aujourd’hui, alors que Zéphyr était prête à prendre n’importe quel risque pour se battre pour ce qui lui semblait juste, Ève quant à elle n’était pas prête à tout perdre. Il y avait bien trop en jeu.

Zéphyr écouta la tirade d'Eve sans broncher. Parce qu'elle aussi, marquait des points, parce qu'elle aussi avait raisons -parfois, pas tout le temps- et parce que la chasseuse de de primes, malgré sa rage et sa hargne, avait conscience qu'un conflit avec son bras droit n'était pas la meilleure des stratégies. Surtout vu la tournure que les derniers évènements avaient pris, et notamment sa dernière entrevue avec le Ministre lui-même et l'arrangement qu'ils avaient conclu. Cette pensée tira un sourire narquois à Zéphyr au moment où sa vis-à-vis fit la remarque qu'elle ne pouvait pas prendre le risque d'ôter son masque et se dévoiler auprès de Matvei. « C'est trop tard, ma belle. J'ai eu un petit entretien avec le Ministre, il y a quelques jours. Très sympathique, d'ailleurs, mais il sait qui fait parti de l'Organisation, masqués ou non. Car si l'autre connard a pris le pouvoir, je reste la seule et unique détentrice du Pacte, chose qu'il a omit en se proclamant leader ou grand manitou. Je l'ai dévoilé à Sejdic, il sait qui est avec moi, qui je pense fidèle et qui ne l'est pas. Je t'ai indiquée dans le premier groupe et j'espère ne pas m'être trompée. J'ai aussi négocié, outre ma protection, celle de ceux qui seront de mon côté. Alors, si dans tous les cas tu perds ton travail, tu ne seras pas, je l'espère en tout cas, mise tout à fait de côté. Et je me chargerai de rappeler au Ministre ce qu'il n'a pas pu voir alors que c'était juste sous son nez. Je suis furieuse, Eve, mais pas contre toi. Pas encore, du moins. ». Mauvaise foi, quand tu nous tiens.

La leader marqua une pause, réfléchissant à ce qu'il pouvait être bon ou non de révéler à Eve. A cet instant précis, Zéphyr ne savait pas de quel côté se situait réellement sa vis-à-vis, elle doutait de tous et tout le monde et garder la tête froide était une chose essentielle. Poussant un soupir, elle se plongea à nouveau dans la contemplation du feu, faisant le tri dans ce qu'elle pouvait dire à la française et surtout, comment. Si la situation lui échappait, Zéphyr le savait, elle avait une chance de s'en sortir sans y laisser de plumes et espérait sincèrement qu'il en serait de même pour ceux qui la suivraient dans tout ça. Et quel que soit le choix que ferait Eve, son ambition de prendre la place de Matvei devenait pour le moment complètement obsolète. Zéphyr braqua son regard polaire dans celui de la française, choisissant avec soin ses mots, dagues affutées pour se planter là où il le fallait. « Ton ambition, en elle-même, je m'en suis toujours fiche, Eve et tu le sais parfaitement bien. Et si j'ai une dette envers toi -celle de m'avoir couverte pour mes activités avec l'Audace-, tu as fais le choix de me suivre afin d'arriver à tes propres buts et de nous couvrir tous dans cette affaire. C'était ton choix, je ne t'ai rien demandé à ce sujet. C'est ta vie, comme tu le dis si bien, maintenant, il faut que tu fasses tes choix pour savoir comment tu veux la sauver. Très honnêtement, tu auras mon appuis si tu me suis, mais sache que si tu fuis, ce n'est même plus ta carrière que tu mets en jeu. C'est une guerre, Eve. Nous passons pour une armée de barbares sanguinaires bon à égorgés le premier gamin qui nous a regardé de travers. Ce connard a complètement détourné mes buts premiers et je veux lui arracher moi-même la tête pour lui faire payer. Mais oui, nous sommes en guerre et nous avons un certain appui du Ministère lui-même. Et ce fils de pute qui dit nous contrôler à présent a oublié qui il avait en face de lui : Shâd. Et Merlin sait que je ne laisse jamais quelqu'un me briser. Et j'ai gardé quelques petites surprises que lui-même ne soupçonne pas. ».

Un sourire carnassier prit place sur le visage de la jeune femme. Elle n'était plus simplement Zéphyr Shâd, à l'heure actuelle, mais elle devenait surtout un prédateur en chasse, un prédateur sournois, violent et cruel qui ne lésinerait sur rien pour reconquérir ce qu'elle avait perdu. La leader le savait, passer pour les gentils de l'histoire, à la fin de tout ça, serait une tâche ardue. Mais qui pourraient blâmer le manque d'écoute et d'attention de leurs premières actions ? Sejdic lui-même avait admis être d'accord avec la plupart de leur revendication, mais contre les méthodes. Et elle, elle pouvait prouver qui était du Bon côté et du Mauvais côté, puisque maintenant, tout cela se résumait à l'éternel combat entre le Mal d'un côté contre le Bien de l'autre. Les vrais sanguinaires pouvaient être trahis sans soucis, Zéphyr se fichait qu'ils croupissent pour le restant de leur jour en prison ou que leur crane soit fracassé par un quelconque auror. La chasseuse de primes interrogea du regard Eve, attendant sa réponse, quelle qu'elle soit. Au moins, aurait-elle la satisfaction d'avoir eu une discussion claire avec son bras-droit.

Les secondes ralentissaient. Les flammes qui crépitaient à quelques pas d'elle dessinaient des traînées de fumée qui semblait indiqué son arrêt de mort. Au fur et à mesure que les mots tranchants franchirent les lèvres de la russe, le monde autour de la française éclata en mille morceaux. Mille morceaux qui ne formèrent qu'un seul nom : Matvei. Encore lui. Au moment où Zéphyr avait indiqué à son bras droit ses dernières petites manigances avec le chef de l’État Sorcier, son premier réflexe avait été de se lever pour foutre le camp de ce bordel qu'était devenu sa vie. Comment en était-elle arrivée là ? Elle avait tout, tout pour réussir une vie pleine de succès. Si jeune, elle était déjà à la tête d'un département du Ministère. Beaucoup lui avait reproché cette ascension trop rapide à leur goût. Mais elle était fière du chemin qu'elle avait parcouru jusqu'ici. Elle n'était pas sans reproche, elle avait été égoïste jusqu'au bout des ongles pour parvenir à ses rêves de princesse. Mais elle était si proche du but désormais. Matvei, maintenant qu'il avait perdu sa crédibilité auprès de nombreux sorciers, était à deux doigts de perdre son contrôle sur le monde. Elle s'était alliée à la chasseuse de prime dans l'unique but de le virer de son trône confortable et voilà que maintenant ils nouèrent une collaboration ensemble, dans son dos qui plus est. Elle n'en croyait pas ses oreilles. Comment avait-elle osé lui faire ça ? Elle était dans une rage folle, tellement dépitée qu'en réalité ses petites fesses ne bougèrent pas du fauteuil en cuir. Sa bouche s'entrouvrit, prête à interrompre la brune dans sa tirade politique dès que le nom du Ministre fut prononcé, mais aucun son ne franchit ses douces lèvres. Elle était impuissante face aux paroles débitées par la détentrice du pacte. « Matvei est au courant. » lâcha-t-elle dans un souffle à peine audible. La terre pouvait bien s'effondrer maintenant.

Zéphyr n'était pas du genre à tourner autour du pot. Elle choisissait ses mots avec tact mais n'épargnait pas ses interlocuteurs. C'est son assurance qui faisait qu'on la craignait. Et là encore, elle n'y alla pas par quatre chemins et pria Ève de bien vouloir choisir son camp. Le sien ou la guerre. Avait-elle réellement le choix ? D'un côté le soutien d'une des plus grandes criminelles du pays appuyé par celui du Ministre lui-même qui était prêt à lui assurer une certaine sécurité malgré sa trahison. De l'autre, un imbécile masqué qui raclait les bénéfices à coup de poing et qui ne se souciait de rien d'autre que de créer le chaos sur son passage. Le choix était vite fait. Même si sa carrière était ruinée, elle tenait à la vie. Elle prenait un malin plaisir à risquer celle des autres, mais jamais elle ne prendrait un tel risque de finir à Azkaban pour le restant de ses jours. Pendant un moment cependant, elle douta du pacte que Zéphyr et Matvei avait conclu ensemble. La chasseuse de prime avait sans doute réussi à sauver sa peau, néanmoins avait-elle vraiment protégé avec elle tous ceux qui lui avait été loyal ? Pourquoi aurait-elle fait ça ? Peut-être parce qu'elle était comme ça. Pas généreuse, seulement fidèle à ses alliées. C'était une qualité indéniable dont la chef de la Justice n'aurait sans doute pas fait preuve. À ses risques et périls.

La belle se leva et fit les cent pas dans la pièce pour se dégourdir ses jambes ankylosées. Quelques minutes pour prendre conscience de l'importance des mots qu'elle allait prononcer. Prendre conscience que sa vie ne sera plus jamais celle dont elle avait rêvé. Prendre conscience que c'était fini. La gloire, la reconnaissance, l'absolue avaient laissé place à la survie. « Je te fais confiance Zéphyr. » lui dit-elle alors qu'elle se tenait encore dos à elle. C'était dit. « Je ne sais pas vraiment pourquoi. Parce que je suis en colère, je n'apprécie pas ton entrevue secrète avec Matvei, ta trahison au pacte dans lequel tu t'étais toi-même engagée. » Elle se retourna, face à elle cette fois-ci. « Mais j'apprécie encore moins ce petit merdeux qui s'impose à nous. Vu la tournure qu'on prit les événements, je ne crois pas que ma présence au Ministère ne soit souhaitée encore longtemps. Je n'ai pas d'autre choix que de te suivre Zéphyr. Tu ne me donnes plus le choix et je déteste ça, être une marionnette dans ma propre vie. J'étais ton bras droit, ton pied d'entrée au Ministère, ta porte de sortie à Azkaban, ne l'oublie pas. Si je sombre, tu sombres avec moi. » D'un coup de baguette, le masque de Guy Fawkes recouvrit son visage resplendissant. Elle savait que c'était une des dernières fois qu'elle devait se cacher derrière cette mascarade grotesque. Les masques allaient tomber, les visages se révéler. Avant de retourner dans les ruelles londoniennes, elle tendit sa main ferme à sa coéquipière pour sceller leur accord. « Alors, faisons en sorte que ça n'en arrive pas là. » Jeux de mains, jeux de vilains.